HEDVIG MOLLESTAD TRIO @ LA BOULE NOIRE (28.09.2013)

Combien de temps faut-il pour rallier Paris en partant de Steinkjer (paisible bourgade du Trøndelag, Norvège)? C’est une question qui m’obsède depuis maintenant quinze mois, époque à laquelle j’étais moi-même en villégiature sur les berges de la Steinkjerelva, le temps d’un festival mémorable au cours duquel j’ai fait la découverte de nombreux artistes scandinaves et acheté un magnifique T-shirt (mais nous y reviendrons plus tard). Depuis lors, je garde l’espérance de voir à nouveau mes coups de cœur nordiques se produire sur une scène, française cette fois – à 400 euros l’aller retour Roissy-Gardermoen, on a tendance à limiter les sorties -, et scrute les annonces de tournée dans l’attente de la bonne nouvelle. Jusqu’ici, seuls deux participants à cette régate informelle en avaient franchi la ligne d’arrivée: Susanne Sundfør (134 jours, soit 18,14 km par jour*) et Mikhael Paskalev (207 jours, soit 11,7 km par jour), ce qui en dit long sur la difficulté de l’exercice. Difficile, mais pas impossible donc, car c’est pour remettre la médaille de bronze de l’épreuve et applaudir comme ils le méritaient les héroïques troisièmes de cette course de fond que nous avons poussé la porte de la Boule Noire ce samedi 28 Septembre**. Sortez le champagne.

*: La Steinkjer-Paris a une équipe statistiques très performante, comme vous pouvez le constater.

**: 5,33 km/jour. Je sais que vous vous le demandiez.

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Appelé en remplacement des Aqua Nebula Oscillator, le trio DOMADORA (« dompteuse » en espagnol) était déjà à pied d’œuvre à notre arrivée. Devant un parterre de spectateurs attentif, si peu fourni, le power trio a défendu avec brio son premier LP, Tibetan Monk, qualifié par des gens s’y connaissant plus que moi en matière de stoner psychédélique comme la rencontre heureuse du karma de Hendrix et des mânes du Kyuss période Welcome To The Sky Valley à 20 000 pieds au dessus du Karakoram. Ca vous parle? Si ce n’est pas le cas, je vous conseille de faire un tour sur le bandcamp du groupe pour faire connaissance avec ce bien bon bonze. Au cours d’un set totalement instrumental d’une quarantaine de minutes, les Domadora affichèrent leur belle maîtrise des codes du rock psyché, parvenant sans mal à garder l’attention du public en variant habilement les ambiances et les cadences. Planté sur la droite de la scène, Belwil (guitare) fit office de maître de cérémonie en chapeau mou, égrenant riffs et soli avec une sereine concentration sur la solide trame rythmique distillée par Gui Omm (basse) et Karim (batterie). On sort un peu hébété (mal des montagnes sans doute) de ce long jam maîtrisé de bout en bout, rappelés brutalement à la réalité par le retour de la playlist de la Boule Noire. Merci aux sherpas de Domadora de nous avoir guidé jusqu’à la retraite de leur ami himalayen, c’est ce qu’on appelle un décollage réussi.

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Vint alors le tour de CHAOS ECHOES, et la soirée prit un tour beaucoup plus expérimental, ce qui, combiné à la prédilection du quatuor pour les sonorité métal, déboucha sur ce que je qualifierais d’alchimie (expérimentation… métaux… non, vraiment?) sonique. N’étant pas familier de la palanquée d’écoles et de styles coexistant dans cet univers si particulier qu’est le (très) hard rock, je n’appris qu’après mon retour du concert et quelques recherches que je venais d’être initié aux douces sonorités du blackened death/doom, selon la terminologie employée par le blog Temple of Perdition (une autorité en la matière), un genre dominé par des groupes… norvégiens. Tu parles d’une coïncidence.
Emmené par les frères Uibo, Chaos Echoes livra un set subtilement inaccessible aux oreilles profanes, dans lequel fut fait un grand usage d’ebows et de pointes métalliques, ces dernières servant  aussi bien de plectres de sixième catégorie que de carillon torturé lors d’un interlude de batterie assez barré. Ayant oblitéré jusqu’au souvenir du mot « mélodie » de leur cahier des charges (un radicalisme que l’on peut trouver un peu trop extrême, même si éminemment courageux), les Chaos Echoes séparèrent le public de la Boule Noire en deux catégorie distincte: les amateurs comblés, qui à la suite de Tétar (guitariste tatoué donnant l’impression de tirer ses bends sur des filins barbelés et électrifiés de cinq millimètres de diamètre, à en juger par l’intensité de ses expressions), succombèrent rapidement à l’appel d’une transe hallucinée et (j’espère pour eux) jubilatoire; et les novices circonspects se demandant en silence ce qu’ils avaient bien pu faire pour mériter ça. Bref, je dois reconnaître que j’ai éprouvé un coupable sentiment de délivrance lorsque les lumières se sont rallumées pour permettre au chaotique quatuor de plier les gaules. Sans rancune les gars.

Setlist Chaos Echoes:

1)The Innermost Dephts Of Knowledge 2)Interzone III 3)R I S E 4)Black Mantra 5)Weather The Storm

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Quelques 455 jours après son passage sur la Klubbscenen du Steinkjer festival, le HEDVIG MOLLESTAD TRIO fit donc enfin ses premier pas sur une scène parisienne, dans le cadre de la rocambolesque* tournée européenne de leur deuxième album, All Of Them Witches. Visiblement contents de se produire dans la ville lumière après une journée sur les routes, Hedvig Mollestad Thomassen (guitar heroine des temps modernes), Ellen Brekken (contre/bassiste 13ème dan) et Ivar Loe Bjørnstad (batteur jedi) installèrent rapidement leurs outils de travail – heureuse surprise: la volumineuse contrebasse d’Ellen faisait partie du voyage, ce dont je n’aurais pas juré de prime abord, étant donné l’encombrement conséquent représenté par ce gros violon – sur scène, avant de disparaître en coulisse pour passer leurs bleus (ou plutôt, rouges) de travail.

Hedvig Mollestad Trio 5

All dressed up and red-dy to go…

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À leur retour sur l’estrade de la Boule Noire, ce fut une copie conforme du groupe ayant réussi l’exploit de conquérir le public de Steinkjer immédiatement après le passage de Kaizers Orchestra (l’équivalent norvégien de notre Indochine national) qui se mit à pied d’œuvre avec une simplicité et une efficacité probante. Etincelante dans son iconique robe rubis à paillettes, Hedvig Mollestad claqua les premières mesures du Code Of Hammurabi sur sa Gibson ivoire, lançant les festivités de la meilleure des manières. Après un quart d’heure de démonstration « hard-jazz » de haute volée, durant lequel Ellen Brekken put à deux reprises étaler son incroyable technique de pizzicato et une nouvelle excursion himalayenne (Kathmandu), l’impeccable trio laissa retomber la pression le temps d’un For The Air lancé à l’archet, comme à la grande époque de Dazed And Confused.

*: Le tourneur du groupe ayant lâché l’affaire quelques jours avant le début de ladite tournée, le trio a du prendre les choses en mains avant de prendre la route, ce qui s’est au final soldé par une date parisienne coincée entre un concert à Berlin et un autre à Elblag (Pologne). Histoire d’un aller et retour…

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Hedvig Mollestad Trio 8

Galadriel, the early years

Arrivé à mi-set après avoir enchaîné sur Ashes (une combinaison gagnante s’il en est), le groupe offrit trois minutes de répit à la Boule Noire, soit le temps nécessaire à l’interprétation du morceau inédit The Rolig (« calme » en norvégien), sorte de réinterprétation jazzy de l’Albatross de Fleetwood Mac. Le calme avant la tempête, puisque le successeur direct de cet interlude zen fut l’implacable The Rex et son riff kashmeerien, dédié par Hedvig à celui sans lequel cette soirée n’aurait pas pu avoir lieu: (Abdelwaheb) Didi. All hail the king.
Lake Acid et son mantra de basse, un No Encore épuré (seul le solo de batterie introductif fut conservé) et Indian Driving défilèrent ensuite sans temps mort avant que ne retentisse l’incroyable riff de Gun And The E-Kid, fleuron incontesté du répertoire du HMT. Le public ne s’y trompa d’ailleurs pas, et manifesta bruyamment son approbation dès les premières notes du classique de Shoot! ( titre du premier opus du trio), et aurait certainement récidivé sur l’ouverture de The New Judas si on lui en avait laissé le temps. Un Ivar survolté relança cependant la machine moins d’une seconde après que la dernière note du E-Gamin ait quitté l’ampli, rajoutant deux minutes quarante d’extase rock aux trois minutes réglementaires de ce dernier. Le même Ivar hurla (faute de micro) ensuite ses remerciements à la Boule Noire au nom du groupe, avant de reprendre ses baguettes pour un final un temps menacé par des contraintes horaires bassement terre à terre, mais qui alla finalement à son terme, c’est à dire une version garage (le problème des micros n’ayant été que partiellement résolu) de Blood Witch, seul morceau non instrumental du trio, en guise de rappel, après l’hendrixienne ouverture de All Of Them Witch: Sing, Goddess.

Le thème de l'édition 2012 était la moustache. Sobre et de bon goût.

Le thème de l’édition 2012 était la moustache. Sobre et de bon goût.

Après un bref passage par les coulisses, les trois héros de la soirée prirent le temps de venir à la rencontre de leurs fans français avec une chaleur et une spontanéité que mon guide de conversation norvégien (même si j’ai lâchement opté pour l’anglais) ne m’avait pas laissé entrevoir**, satisfaisant volontiers aux demandes d’autographes et ce en dépit de l’étrangeté de certains supports… dont le magnifique T-shirt dont je vous entretenais au début de cet article (vous n’aviez pas oublié tout de même?), à présent encore plus collector que jamais grâce à la gentillesse du Hedvig Mollestad Trio. Taaaaaaakk.

**: Je cite: « La poignée de mains est d’un usage très limité. Quant aux embrassades, évitez-les sous peine de malentendu. Le joue-contre-joue furtif (que l’on appelle klem) est la manifestation maximale de tendresse que l’on accorde à des personnes très proches, dans des moments d’émotion. » Si cela est vrai, nous étions devenu une grande famille très émue à la fin du concert.

Hedvig Mollestad Trio 9. .

Setlist Hedvig Mollestad Trio:

1)Code Of Hammurabi 2)Kathmandu 3)For The Air 4)Ashes 5)The Rolig 6)The Rex 7)Lake Acid 8)No Encore 9)Indian Driving 10)Gun And The E-Kid 11)The New Judas 11)Sing, Goddess

Rappel:

12)Blood Witch

La sagesse populaire nous enseigne que plus on attend pour que quelque chose se produise, plus ce quelque chose nous comblera quand il se réalisera. À la sortie de la Boule Noire, après avoir mis fin à une attente de 455 jours, j’étais absolument convaincu de la véracité de ce principe, et le suis toujours au moment présent. Ceci dit, je pense que si ma prochaine rencontre avec le Hedvig Mollestad Trio devait se produire dans un futur plutôt proche que lointain, je me montrerais également capable d’apprécier ce moment sans la moindre arrière pensée. Just saying, fate…

À propos de Schattra

Égoïstement optimiste, çapourraitêtrebienpirologiste assumé. Selfishly optimistic, proud itcouldbemuchworsologist

Publié le octobre 1, 2013, dans Revue Concert, et tagué , , , , . Bookmarquez ce permalien. Poster un commentaire.

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